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- Asseyez-vous les enfants !


Lundi matin – 8h45. Le soleil commence à montrer le bout de son nez au coin de la cour de récré. Celle-ci est recouverte d'un léger voile blanc matinal. Les tracés de la marelle, les cordes à sauter, la table de ping-pong profitent de leurs derniers instants de repos en cette fin de week end et début de semaine. Le grand portail vert grince. C'est un élève de CM1 retardataire accompagné par sa mère qui entre dans cette école. Il ne le sait pas encore, mais elle lui manquera bien souvent plus tard. A cet âge on ne sait pas profiter de ce qui nous ait offert...

Dans la classe, les enfants rangent leurs crayons de couleurs et mandalas dans leurs petits casiers au fond de la classe. Le coin lecture n'a pas encore été dérangé mais ça ne saurait tarder. La petite bibliothèque regorge de livres dont tous les élèves sont fans : « J'aime Lire » - « Okapi » - « Astrapi » et de nombreuses histoires de pirates, princesses, souris qui parlent... Tous les vendredis après midi des CM1 ou CM2 viennent dans la classe et leur lisent une histoire. C'est l'un des moments préférés de cette classe de CE1. Ils attendent ce jour avec autant d'impatience que les sorties à la patinoire. Pourtant dans cinq minutes leurs jeunes vies vont être bousculées.

Leur classe se trouve à côté de celle de Mme Gelaub. Elle s'occupe des CE2 et d'après les sons qui traversent le mur et les témoignages de grands frère et grandes sœurs, ce serait un tyran. Tous les jours les élèves ont le droit à une dictée et toutes les deux semaines ils doivent apprendre et réciter une poésie. Autant dire que la jeune classe n'est pas pressée de la rencontrer. Elle approche de la retraite et chaque année on l'a dit partante. Peut-être auront-ils la chance de tomber sur la bonne année.

Les élèves finissent tous de s'installer. Bizarrement aujourd'hui, la voix de Mme Gelaub, si perçante habituellement n'est pas perceptible. Seuls quelques valeureux chuchotages et quelques toussotements se font entendre. Un rayon de soleil fait son entrée dans la pièce, obligeant Elodie la maitresse, à se lever et fermer le rideau. La couleur bleu marine de celui ci en harmonie avec la couleur jaune de la salle, donne une impression d'étouffement. Elodie ne s'en était jamais rendu compte. Il faut dire que le soleil ne se pointe jamais de ce côté ci d'habitude. L'atmosphère se fait pesante, pourtant elle semble être la seule à s'en rendre compte.

- Vous êtes tous là ?

Elodie se racle la gorge et respire un grand coup. Elle se sent étouffer. Assise à son bureau elle est face à une vingtaine de petites têtes blondes, brunes, rousses, coiffées en pétard avec une tonne de gel pour certains, pas coiffées du tout pour d'autres et pour quelques filles des petites coquetteries dans les cheveux avec un mélange de barrettes multicolores à fleurs et d'élastiques. Ces petites têtes vont de pairs dans trois rangés de quatre tables. Certaines bavardent entre elles, d'autres essaient discrètement de grappiller quelques minutes de sommeil en plus, d'autres encore dessinent au crayon de bois sur la table. Lily, la petite chatte, mascotte de la classe vient de se poser sur l'un des rebords des longues fenêtres. Personne ne sait réellement à qui elle appartient, mais depuis le début de l'année, elle vient ici tous les jours et regarde la classe vivre au rythme des cours de français, mathématiques, musiques... Et tous les jours, un élève différent de la classe lui donne un bol de lait et des croquettes qui sont le fruit des petits dons des parents voulant faire plaisir à leurs enfants. Lily fait sa toilette matinale sans se soucier des regards qu'on lui porte. Aujourd'hui c'est au tour de Nathan de s'occuper d'elle.

- Maitresse ! Nathan il est pas là ! C'est qui qui va donner à manger à Lily ? demande Marie.

Marie c'est l'amoureuse de Nathan depuis le CP. Ils se sont déjà fait des bisous sur la bouche mais c'est un secret. Elodie regarde la place vide au fond de la classe. Il est très doué en dessin pour son âge. Sa table en témoigne. Il se fait d'ailleurs régulièrement gronder par Elodie. Sa gorge commence à se nouer. Elle regarde une nouvelle fois toutes ces petites têtes et en cherche une plus particulièrement.

- Les enfants ... j'ai une mauvaise, une très mauvaise nouvelle à vous annoncer. Nathan est parti !

Les yeux de Marie viennent de s'ouvrir laissant place à deux grosses billes. Elle ne semblait pas être au courant. Les oreilles de Lily se mettent à s'agiter, comme si elle semblait subitement intéressée par la conversation. Marie lève la main afin de pouvoir parler.

- Mais il est parti où ? Moi il m'a pas dit ça ! Moi il a dit qu'il allait voir sa mamie à la mer ! Même qu'il a dit Nathan que j'aurais un cadeau !

Elodie sent ses joues devenir de plus en plus rouge, ses yeux se floutent peu à peu et sa voix commence à trembler. On ne l'a jamais préparé à ça.

- Arnaud tu te rappelles où il est maintenant ton chien ?
- Oui il est au paradis des chiens !

Marquant une pause, son cœur s'accéléra.

- Et bien, Nathan est désormais au paradis des enfants...
- Mais il est pas vieux ! Il peut pas y être ! répondit aussitôt Arnaud.

Tous les regards se croisent et se recroisent dans la classe. L'agitation commence à se faire sentir. Personne n'est sûr d'avoir réellement compris ce que leur maitresse venait de dire. Nathan, leur copain depuis la grande section serait mort ? Non c'est pas possible ! Arnaud a raison, il n'est pas assez vieux ! Marie, elle, n'a pas bougée. Elle fixe sa trousse. En réalité ce n'est pas la sienne mais celle de Nathan. Ils se les étaient échangés. Voyant la réaction de ses élèves, Elodie commence à expliquer ce qui c'était passé.

- Vous savez les enfants, on n'est malheureusement pas obligé d'être vieux pour... partir. Mais vous savez là où il est, il est surement très heureux.
- Mais ça n'existe pas le paradis des enfants ! s'exclama alors Julien !
- Si il existe ! lui répondit Arnaud. Mario est au paradis des chiens alors pourquoi Nathan a pas droit d'aller au paradis des enfants ?!
- Taisez-vous !!!!! cria Marie. Nathan est pas au paradis ! il est chez sa mamie il me l'a dit ! T'es qu'une menteuse Elodie ! Menteuse ! Menteuse ! Menteuse ! Menteuse ...

Marie commence à pleurer et tout le monde la regarde sans savoir quoi faire. Ils ont tous envie de pleurer aussi, cela se lit sur leurs visages mais ils ne veulent pas ou n'y arrivent pas. Nathan c'était le blagueur de la classe, il faisait toujours le pitre mais c'était aussi le premier de la classe. Il est paradoxalement l'élève que l'on aime détester. Lorsqu'Elodie devait le gronder elle le faisait toujours à contre cœur, mais elle savait qu'elle devait le faire. Elle aussi à envie de pleurer mais elle se retient. Elle se rapproche de Marie et s'agenouille pour se mettre à sa hauteur. Elle lui donne un mouchoir.

- Non Marie je ne suis pas une menteuse... Nathan est bien allé voir sa mamie. Mais il a eu un accident...
- Non ... c'est mon amoureux et il a dit qu'on allait se marier ! Regarde son dessin !
- Je sais Marie... Je sais que ce n'est pas facile... Mais tu sais là où il est, au paradis des enfants il est surement très heureux. Il va pouvoir dessiner tous les jours partout, car là bas il aura le droit. Mais toi, tu as le droit de pleurer. Ça fait du bien ...
- Elodie ?! ça veut dire que Nathan ne va pas revenir ? demande alors Lucie
- ... Non ! Jamais les enfants. Je suis désolé !

Et à cet instant, un par un les enfants commencèrent à verser tout d'abord une larme puis deux, puis trois jusqu'à ne plus pouvoir les compter. Elodie ne sait pas trop comment gérer la situation. Elle aussi voit des larmes quitter ses yeux. Elle ne peut plus les retenir. Jamais elle n'aurait pensée faire face à ça. Elle essaie de les réconforter comme elle peut. Mais si elle n'arrive pas à se réconforter elle-même comment pourrait-elle faire avec 21 enfants ? Quelqu'un frappe à la porte. Elle invite les enfants à dessiner ou aller lire ou même simplement parler entre eux. C'est Mme Gelaub. Elle avait aussi prévenu sa classe. La grande sœur de Nathan se trouve dans sa classe habituellement. Mais elle n'est pas venue aujourd'hui, elle n'y arrivait pas. Elle en a profité pour expliquer aussi la situation à « ses » enfants.

- Tu vas bien ?
- Bof ... Pourquoi c'est toujours plus dur que ce qu'on imagine ?
- Parce qu'on essaie involontairement de se cacher sous une coquille espérant ne pas se laisser submerger par cet ouragan.
- Oui... et plus on essaie d'empêcher l'ouragan de nous emporter avec lui plus on y met de la force. Et lorsque ça lâche on ne contrôle plus rien...
- Je n'aurais jamais imaginé ça pour ma dernière année ici... Tu veux que je te remplace le temps que t'aille souffler un peu ? Les miens sont plutôt calmes là, je leur ai mis un film. Je peux m'occuper des tiens en attendant !
- Je veux bien ... merci !

Elodie s'essuie les yeux sous ceux compatissants de sa collègue. Finalement elle n'a pas l'air si méchante que ça, pense Jessie qui avait écoutée un peu la conversation. La classe est partagée entre ceux qui sont effondrer et ceux qui s'efforcent de faire bonne figure. Le casier de Nathan est tout en désordre. Quelqu'un à l'air d'avoir fouillé dedans cherchant quelque chose en particulier. Le bureau de Marie est tout aussi dérangé.

- Elodie ... ? Tu peux donner ça à la maman de Nathan pour qu'elle le donne à Nathan après ? demande alors Marie
- Oui bien sur ! Qu'est-ce que c'est ?
- ... Un dessin !

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