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- Maman ... Tu peux me lire une histoire s'il te plait ?!
- Non ma chérie ! Il est tard et demain est un grand jour pour toi. Tu dois être en forme.
- S'il te plait ... ! Tu sais bien que je n'arrive pas à dormir lorsqu'il y a de l'orage ...

Du haut de ses onze ans, bientôt douze, Célia essaie d'attendrir sa mère lui faisant les yeux doux et des petites grimaces avec ses lèvres. Elle est bien décidée à ne pas dormir de si tôt. Habituellement, Eliane, sa mère, ne se laisse pas avoir facilement, mais ce soir elle décide de faire une exception étant donné l'événement tant attendu de demain.

- Bon très bien ! Mais pas plus d'un chapitre et après tu dors !
- Oui promis ! Merci maman.

Célia sort alors un livre du tiroir de sa table de chevet pendant qu'Eliane, se dirige à la fenêtre fermer les volets claquant contre la vitre, emportés par le vent. Le ciel est noir recouvert d'épais nuages gris menaçants. Par moment, un flash crépite, accompagné quelques minutes plus tard d'une petite détonation terrifiant Célia à chaque apparition. C'est sa plus grande peur ; les orages. Eliane rejoint sa fille sur le bord du lit, la rassure et prend le livre. C'est un épais bouquin, portant l'odeur qu'ont les anciens livres et probablement abîmé par le temps lorsque l'on voit l'état de la couverture. Il n'a pas dû être emprunté depuis un petit moment, pense-t-elle, lorsqu'elle dépoussière quelque peu celle-ci. Dessus est représenté un grand personnage au dos courbé dégageant quelque chose d'inquiétant. Il est face à une grande porte ouverte qui laisse s'installer des jeux de lumières et apparaître deux petites ombres. Aucun titre, ni devant ni au dos du livre, pas même le nom de l'auteur n'y est inscrit.

- Où as-tu trouvé ce livre ? demande Eliane
- A la bibliothèque avec papa cet après midi. La dame m'a dit que j'étais très courageuse de prendre celui-ci mais qu'il était trèèès intéressant. T'as vu je grandis, je lis plus des trucs pour enfants !

Dubitative, Eliane commence tout de même la lecture du conte.

« Jadis, dans une forêt aux abords du petit village « Despair » vivait un monstre prénommé Pillz. Il était considéré ainsi par tous les habitants de son village. Il n'était pas méchant, simplement différent. Les habitants du village ne le considéraient pas comme l'un des leurs et il dû affronter chaque jour des moqueries, des insultes, des humiliations de la part des plus petits mais aussi des plus grands. Il est vrai qu'il n'était pas comme tout le monde, mais c'est ce qui rend les personnes intéressantes. Il avait la peau grise et son visage se distinguait des autres par ses yeux bleu-marine aux contours sombres très épais - comme s'il s'était maquillé. Ses lèvres aussi étaient noires. Ses cheveux sortaient également de l'ordinaire, des coupes que les habitants de « Despair » avaient. De la même couleur que ses yeux, ils donnaient l'impression d'être coiffés à l'aide d'un pétard ou d'être soumis à de l'électricité statique en permanence. Il n'avait que 4 doigts à chacune de ses deux mains et possédait une petite queue. Il n'était pas très grand ce qui faisait un peu plus ressortir ses rondeurs. Sa voix était très grave et si le silence se faisait on pouvait entendre les battements irréguliers de son cœur. Souvent, lorsque celui-ci s'emballait de trop, il n'arrivait pas à trouver le sommeil. Pourtant la fatigue ne semblait pas l'atteindre, comme si dormir n'était pas une nécessité pour lui. Il était vêtu d'une vieille chemise blanche, d'un jean noir décoloré et ne possédait pas de chaussures. Personne ne savait quel âge il avait. Il était arrivé au village presqu'un an avant le début de cette histoire, mais n'y est resté que quelques jours avant de rejoindre la forêt, là où personne n'osait s'aventurer, même pour chasser et où il était sûr de pouvoir vivre à l'abri des embêtements. Il n'avait aucun souvenir de ses parents et certaines personnes du village affirmaient même qu'il n'était qu'une création ratée d'un inventeur de passage l'ayant abandonné ici.

Cependant une personne ne le rejetait pas. Elle s'appelait Sayu. C'était le prénom de sa mère, d'origine japonaise, décédée lors de sa naissance. Elle habitait une petite maison, en face de la forêt abritant la cabane de Pillz. Du haut de ses 12ans elle avait un caractère affirmé et ne se laissait jamais marcher dessus. Lorsqu'auparavant Pillz se faisait embêter par les enfants du village, c'est elle qui le défendait. Ça à toujours été comme ça entre eux ; elle a toujours été là pour lui. Chaque soir après les cours et avant le retour de son père, elle faisait ses leçons avec lui, lui apprenant au passage à lire, écrire, compter. Elle lui apprenait à canaliser sa colère, à passer outre ces moqueries, à profiter de ses qualités et ses défauts faisant de lui quelqu'un d'unique, à prendre confiance en lui et à apprendre à faire confiance aux autres. Mais par-dessus tout, elle lui donna la chose la plus importante aux yeux de Pillz, son amitié.

Comme chaque mercredi, Pillz attendait Sayu à 14h devant le grand chêne. Elle n'avait jamais cours ce jour là. Ils en profitaient alors pour s'amuser : elle lui faisait des tours de magie appris par son grand-père, jouaient aux billes comme tous les enfants, partageaient une tarte au citron faite le matin même, dessinaient... Il avait un vrai don pour le dessin. Il lui suffisait de regarder quelques secondes une chose pour la photographier dans sa mémoire et la redessiner telle quelle. C'est ce qu'il fit avec Sayu. Il lui dessina un magnifique portrait que l'on pouvait aisément prendre pour une photo de loin tellement il était ressemblant. Elle l'accrocha au dessus de son lit, le remerciant par un baiser sur la joue. Le premier geste d'affection qu'on lui avait porté pour autant qu'il s'en souvienne.

Tous ces souvenirs s'enchainaient les uns après les autres, attendant qu'elle arrive. Il discutait aux animaux de la forêt avec lesquels il arrivait à communiquer. Les arbres imposant auxquels il leurs avait attribué chacun un nom, semblaient eux aussi prendre part à la discussion à leur façon. Pourtant ce jour là, Sayu n'est pas venue. Ni même le lendemain. C'était la première fois qu'elle ne venait pas sans qu'elle ne l'ai prévenu. Même lorsqu'elle était malade elle arrivait à lui faire savoir à l'aide de ses compagnons de la forêt. C'était sa seule amie et un lien très fort les unissait. Il hésita un moment avant de sortir de son refuge, redoutant les habitants du village et ce qu'ils pourraient lui faire. Néanmoins, il sentait que quelque chose n'était pas normale. Peut-être que son père avait découvert que tout les deux se voyaient en secret et qu'il lui avait interdit de sortir. Ou peut-être ... Pillz s'imagina bon nombre de scénarios possibles, vacillant entre heureux dénouement ou non. Il ne pouvait se résoudre à laisser ses peurs l'empêcher de savoir ce qui se passait. Prenant son courage à deux mains, il parcourra le chemin qui menait au jardin de la maison de son amie. Il devait passer sur un petit pont sous lequel les enfants venaient pêcher ou nager. La crainte de les rencontrer faisait battre son cœur à une allure folle que le silence n'était plus nécessaire pour l'entendre. S'approchant doucement et essayant de ralentir sa respiration, il constata avec étonnement que l'endroit était désert. Ne se posant pas de questions, il se mit à courir afin d'arriver plus rapidement. Une fois sur place et après quelques regards à droite et à gauche, il s'agrippa au rebord de la fenêtre de la chambre de Sayu. Tout était dérangé, comme si on avait fouillé chaque coin de la pièce sans se soucier du désordre causé. Le portrait de Sayu était déchiré. Surpris et inquiet pour son amie, il fit le tour de la maison et à chaque fenêtre, ne pouvait que constater le départ de celle-ci et de son père. Ne comprenant rien à ce qui se passait, il se risqua à s'aventurer dans le village. Il longea les murs, tremblant de tous ces membres. Tout était désolé, comme si les gens étaient partis en grande hâte. Les portes n'étaient pas fermées, et on pouvait apercevoir le désordre, le chaos qui y régnait comme si une tempête avait tout balayé sur son terrible passage. Il dû alors se rendre à l'évidence, tout le monde avait disparu, sans qu'il ne s'en rende compte et certainement pas de leur propre initiative. Déboussolé il resta assis sur le trottoir d'une rue. Qu'était-il arrivé ? Comment allait Sayu ? Pillz se torturait l'esprit à essayer de répondre à toutes ses questions pour lesquelles ils savaient très bien qu'il ne trouverait pas les réponses en restant ici. Le temps commençait à radicalement changer. Il s'assombrissait petit à petit, le vent soufflait de plus en plus fort emportant dans ces petits tourbillons tout ce qui se trouvait sur son chemin. La pluie venait elle aussi se mêler à ce sinistre tableau. Pillz regarda le ciel avec un regard encore plus noir que ce dernier. Il n'était sûr que d'une chose : il devait retrouver son amie. »

- Fin du premier chapitre ma chérie.

Eliane referme le livre et le pose sur la table de chevet.

- Qu'est-ce qu'il va faire à ton avis ? demande Célia.
- Tu le sauras demain. Maintenant il est l'heure de dormir !
- S'il te plait maman, lit moi un autre chapitre ...
- Non ! On avait dit...

Une violente détonation vient de secouer la maison et interrompit la discutions entre la mère et sa fille. L'orage n'est pas loin et semble se rapprocher de plus en plus. Célia se cramponne à sa mère ne voulant pas la lâcher.

- Ne t'en fais pas ma chérie, la maison est plus solide qu'une montagne et elle a déjà connu des orages plus violents. Endors-toi et pense à demain et à ce qui t'attend.
- ... Tu peux laisser la porte entre ouverte s'il te plait maman ?

Eliane dégage une mèche de cheveux du visage de sa fille, l'embrasse tendrement sur le front tout en la rassurant d'un jolie sourire.

- Bonne nuit ma future grande !
- Bonne nuit ma maman adorée !

Célia se tourne du côté de la fenêtre et de la tempête comme pour la défier et lui montrer qu'elle ne lui fait plus peur, même si les tremblements de sa couette la trahissent. En sortant de la chambre, Eliane ne ferme pas la porte entièrement, laissant ainsi passer un peu de lumière pour rassurer sa fille. Elle descend rejoindre son mari dans le salon. Célia compte les pas de sa mère dans l'escalier et arrivé au vingtième ferme les yeux.

Dans la chambre règne un calme impérial. Seule la respiration douce et lente de Célia empêche le silence de s'installer. Dehors l'orage gronde toujours autant et le vent donne l'impression de s'accrocher aux murs de la maison essayant par n'importe quel moyen d'y pénétrer afin d'y semer le désordre. Dans le couloir, la petite lucarne a été oubliée et laissée à moitié ouverte. Un courant d'air réussit à s'y infiltrer sans difficulté et se dirige doucement en direction de la chambre de Célia. L'air frais prend place dans la pièce, caressant sa peau et la faisant frissonner. Afin de se réchauffer, elle s'enfonce un peu plus dans ses draps tout en grelottant mais ne sait plus si c'est de peur ou de froid. La table de chevet et le livre ne sont pas non plus épargnés. La table se met à s'agiter et la couverture du livre puis les pages une à une se mettent à se tourner. A chaque page, les phrases sont mystérieusement remplacées par d'étranges dessins de trois couleurs différentes ; noir – blanc – rouge et représentant chaque action, chaque personnage de l'histoire. Le contour du livre s'illumine d'une couleur vive argentée. Célia ne peut ignorer cet étrange phénomène et sa curiosité devança sa peur. Elle sort la tête de ses draps, l'air frais à enveloppé toute la chambre. Elle ne peut qu'assister à ce spectacle. La page sur laquelle s'est arrêtée Eliane tout à l'heure vient d'apparaître. La table s'arrête aussitôt de trembler. Le livre ne s'illumine plus et les dessins se terminent. Ne sachant plus si c'est un rêve ou non, Célia ferme ses yeux une dizaine de secondes et les rouvre en examinant de tous les côtés sa chambre. L'air frais a disparus comme si jamais il n'était apparu. Célia s'avance près du livre et constate qu'une partie d'un dessin est caché par une sorte de poudre blanche. Elle l'essuie avec sa main afin de voir ce qu'il représente. C'est alors que jaillit de la page une grande lumière éblouissante qui s'éteignit presque instantanément. Durant ce laps de temps Célia disparut.

La pluie s'abat avec une telle rage que les rivières sont débordées. Les éclairs s'enchainent les uns après les autres, laissant apparaître quelques secondes plus tard des détonations de plus en plus violentes. Malgré l'entrainant balayage des arbres, l'air est lourd ! A tel point que l'on se sent écraser par son poids. Elle est là, au centre de cette scène, agenouillée par terre, tête baissée, les bras croisés, les cheveux ainsi que ces vêtements mouillés et tremblant de tout son corps. Elle n'ose pas lever la tête de peur de ce qu'elle pourrait voir. Ses larmes ce mêlent aux gouttes de pluie. Un craquement derrière elle la fait sursauter. L'oreille tendue tel un chat, le regard vide et apeuré, elle guette le moindre bruit.

- Maman !! Maman !!! J'ai besoin de toi Maman !

Sans réellement s'en rendre compte, Célia se met à crier. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas fait de cauchemar et elle ne sait plus comment faire pour s'en sortir. Sa mère venait à chaque fois l'aider à aller mieux en lui apportant une petite tasse de lait chaud avec un peu de miel dedans. Il faut juste qu'elle attende.

- Maman ! Mam...
- ... Ne crie pas elle ne viendra pas !

Une voix grave venant de derrière elle vient de la couper. Célia se retourne et cherche désespérément d'où provient la voix. Elle se tourne et retourne à s'en rendre malade. Elle n'arrive plus à crier. C'est alors que sortit d'un côté de la forêt un étrange personnage. Ces yeux sont les premières choses qu'elle arrive à distinguer. Elle pouvait lire la même chose que dans les siens, de la peur, avec pourtant une autre émotion cachée, plus terrifiante celle-ci.

- Je ne te veux pas de mal...
- Qui...qui es-tu ? Et j'suis où ?? Qu'est-ce qui se passe ?
- Je m'a... je m'appel Pillz et tu es chez moi ! ... Et ce qui c'est passé est trop long à t'expliquer.
- Pillz ? Non ! Non non, ce n'est pas possible ! Tu n'existes pas ! tu n'es qu'un personnage d'un vieux livre ! Je suis juste dans un mauvais rêve !
- Je n'existe pas ? Chez toi peut-être, mais ici... tout est réel ! C'est mon monde et de nous deux la personne qui ne devrait pas exister... c'est toi !

Célia ne comprend plus rien à ce qui lui arrive. Elle secoue la tête sans arrêt n'acceptant pas ce que cet étrange personnage lui raconte. Ce n'est pas possible, pense-t-elle. Ce n'est qu'un livre, ce n'est pas réel ! Pourtant les gouttes de pluie, la chaleur, même l'odeur de la forêt... tout ne lui a jamais paru aussi vrai.

- Si tout ceci est vrai pourquoi je suis là ?! Comme tu l'as dis, ma place n'est pas ici !
- C'est moi qui t'ai fait venir ...
- ... Mais pourquoi ?
- Je te l'ai dit c'est trop long à expliquer mais tu dois m'aider ... !
- Non ! Je ne bougerais pas d'ici et je ne t'aiderais pas tant que tu ne m'auras pas dis ce que je fais ici !

Célia commence à passer au niveau supérieur de la peur, la colère. Son caractère naturel prend le dessus et s'en charge parfaitement. Elle ne s'est jamais laissée faire et même si au fond d'elle, elle est terrorisée et que du haut de ses futurs douze ans elle sait qu'elle ne ferait pas long feu face à ce prénommé Pillz, il est hors de question pour elle qu'on lui dicte ce qu'elle a à faire. Face à cette réaction, Pillz ne peut s'empêcher d'esquisser un sourire qui pourrait plus s'apparenter à une grimace.

- Mais qu'est-ce que je t'ai fait ? Et pourquoi tu souris ? T'es un psychopathe et tu veux me tuer c'est ça ? Je n'ai pas peur de toi !
- Ta voix montre le contraire ! Mais ne t'inquiète pas je te ne veux aucun mal, je te l'ai déjà dit.
- Mouais ... Tu m'excuseras si je ne te crois pas hein !
- Je ne me suis pas trompé ! Tu es exactement comme elle ! Vous avez le même caractère. Vous pourriez être sœurs.
- De qui tu parles ?
- De mon amie Sayu ... Si je t'ai fait venir ici c'est pour que tu m'aides à la trouver. Je n'ai ...

Pillz n'eut pas le temps de terminer sa phrase, Célia s'écroula par terre. Elle est trempée jusqu'au os et n'est habillée que d'une chemise de nuit. Son corps entier est recouvert de boue et la pluie, le vent ne cessent d'accroitre leurs forces autours d'elle. De plus, la fatigue et la peur s'accumulant en elle, Célia n'a pu résister plus longtemps. Son visage semble pourtant étrangement apaisé. Pillz s'approcha d'elle doucement. Ses yeux semblent exprimer un sentiment de regrets mélangé cependant encore une fois à cette sombre émotion encore inconnue.

- Je suis désolé... d'avance ! Pour tout ...

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