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La nuit l'accompagnait. Elle apparaissait de plus en plus tôt ces derniers jours - veille de l'hiver. Il remonta le col de sa veste, réajusta son écharpe et s'avança de façon nonchalante. Le froid aussi était de nouveau là et accompagnait les épais nuages gris. Il leva la tête plusieurs fois, lui donnant ainsi l'impression de caresses glacées. Des flocons de neige venaient de temps en temps se poser délicatement sur son visage et sur son long manteau noir. De chaque côté de l'allée se trouvaient deux vieux lampadaires ayant du mal à encore assumer leur raison d'exister. Il n'osait regarder autour de lui, le sombre paysage ne le rassurant pas. Les branches des arbres dénudés faisaient savoir leur tristesse, se heurtant les une entre elles ou contre le muret. Le vent soufflait sa mélancolie par moment, faisant grincer le portail probablement aussi vieux que les lampadaires et se laissant ouvrir et fermé violement ou calmement selon son humeur. Elle était là. L'apercevant, son cœur glacé commença à s'accélérer, faisant monter en lui une sorte de mauvaise euphorie. Ses yeux cernés caractérisant la fatigue accumulée de ces derniers jours et défiant l'air glacial s'humidifiaient un peu plus à chaque pas fait. Elle se trouvait juste dessous l'un des lampadaires. Elle rayonnait encore. Il s'arrêta un instant, reprenant son souffle, repensant à tous ce qui c'était passé. Il s'avança de nouveau vers elle, essayant tant bien que mal de reculer en même temps, voulant éviter à tout prix cette confrontation tant redouté. Il ne pouvait regarder en sa direction et préférait marcher tête baissé. Ses pieds laissaient une trace de leurs passages sur la petite couche de neige rejoignant ainsi les dizaines d'autre tout autour. Il était là, face à elle. L'espace de quelques secondes la nature s'était tue, comme pour leur laisser cet instant, le dernier. C'est là qu'elle reposait depuis l'accident. Il déposa quelques roses noirs, ses préférés, aux côtés de différents bouquets et s'effondra. C'était la première fois qu'il venait la voir, c'était la première fois qu'il pleurait. Il sortit de sa poche une petite bouteille de vodka déjà bien entamé. Il bu une gorgé, grimaçant au passage et commença à lui parler. Son absence de réponse lui faisait de plus en plus mal. Il s'excusa de n'être pas venu plus tôt, ne pouvant affronter la réalité, il s'en voulait de n'avoir pu assister à ces funérailles même s'il en était dans l'incapacité, il s'excusa de ne pas être avec elle à cet instant... Rapprochant une nouvelle fois la bouteille de sa bouche, il ferma les yeux et repensa à ce jour...

C'était le mardi 11 novembre 2008. Après s'être sacrifié pendant plus d'un an, ne prenant aucunes vacances durant l'été, ils avaient mis de côté assez d'argent pour s'offrir le voyage dont ils rêvaient tous les deux en Inde. Elle voulait, le temps de quelques jours, retrouvé ses origines. Les deux premiers jours s'étaient très bien déroulés - retour dans son village natal et visites des alentours étaient au programme. Pourtant ce paisible retour aux sources est vite devenu un cauchemar. En plein après midi, et en l'espace de seulement quelques heures un terrible ouragan, ayant déjà sévit mortellement quelques kilomètres plus loin, s'est abattu sur la ville où ils se trouvaient. Les autorités n'avaient pas eu le temps de prévenir la population. L'ouragan nommé Elisa avait un œil large de près de 23km et ses vent pouvaient atteindre 230 km/h. Au large, les vagues atteignaient 7 mètres de haut. Tout ce qui se trouvait sur son chemin ne pouvaient résister. Les voitures s'envolaient, laissant prisonniers certains passagers encore à l'intérieur, les toitures des maisons lorsque ce n'était pas les maisons elles mêmes s'émiettaient petit à petit, laissant flotter dans l'air de terribles débris fauchant les passants les plus malheureux, les rues voyaient dangereusement l'eau s'infiltrer en elles, emportant tout et faisant des centaines de victimes.

Il ouvra les yeux. Sa bouteille était fortement agrippé à sa main ou peut-être était-ce le contraire... l'alcool et les souvenirs étaient tout ce qui lui restait à présent. Ayant eu un malheureux regard il tomba sur ce qui était écrit sur la pierre tombale : Nilâ Hantz ; 1982 – 2008. 26ans c'était trop tôt pour mourir. Il parait que lorsque l'on se prépare à défier la mort, on voit les moments les plus forts de notre vie défiler devant nous. Ce n'était pas le moment pour elle d'y faire face pensait-il énervé envers lui-même et le monde entier. Son prénom, d'origine indienne comme sa mère, signifie « Clair de Lune » Il leva la tête et la chercha derrière ces épais nuages gris. Elle était là, sous forme de croissant.

Pris de panique, tous les deux se trouvaient dans une voiture d'emprunt à la sortie de la ville. Malheureusement un bouchon les empêcha d'aller plus loin. Ils pouvaient apercevoir des centaines de personnes affolées courant, criant, pleurant dans les rues, cherchant à s'échapper tout en sachant qu'elles n'y arriveraient pas. Certaines en profitaient même pour piller les maisons abandonnées. Les klaxons rugissaient avec rage, comme si les conducteurs pensaient que plus ils appuieraient et plus vite la situation se décoincerait. Tout à coup, sortant de nulle part, une violente vague les happèrent. La voiture fit de terribles tonneaux, heurta différents obstacles et s'arrêta le long d'une route. Nilâ et Adam étaient sonnés, tous s'était passé si vite. La voiture se trouvait sur le dos et tous les deux étaient coincé à l'intérieur. Ils se répétaient sans cesse que ça allait bien se passé, qu'on allait venir les sauver, qu'ils s'aimaient... La dernière chose dont il se souvenait c'était de son visage ensanglanté et de son regard terrifié. Emporté par l'ouragan, une autre voiture lancée à plus de 100 km/h vint heurter leur véhicule...

Ses larmes glacées lui faisaient de plus en plus mal. Depuis des jours il refaisait le même cauchemar, il ne pensait qu'à ça, qu'au dernier regard qu'elle lui avait porté. Il regarda sa bouteille, bu les dernières gouttes et la balança plus loin. Heurtant une autre tombe, elle éclata en dizaines de morceaux de verre. Le vent soufflait de plus en plus fort, les gouttes de pluie remplaçaient les flocons, rendant les allés boueuses et effaçant les traces de pas. Un éclair faisait son apparition. Il sortit de sa poche un paquet de cigarettes - Il commençait tout juste à fumer, comme s'il cherchait à se pourrir le plus vite possible et ainsi pouvoir la rejoindre plus rapidement. Il l'alluma avec difficulté, le vent donnant l'impression de ne pas vouloir lui laisser ce plaisir, éteignant à chaque fois la flamme sortant du briquet. S'asseyant à côté d'elle et posant sa tête contre la pierre, il expira.

Il se réveilla deux semaines plus tard. Deux semaines passées dans le coma. Il avait l'impression de ne plus sentir ses jambes, autours du coup il portait une minerve et de nombreux bandages venaient s'ajouter un peu partout sur son corps. Lorsqu'il ouvra les yeux, c'est son frère qu'il vit. Il était venu d'Amsterdam, ville dans laquelle il travaillait, dès qu'il avait été mis au courant. Leurs parents étaient décédés lorsqu'Adam n'était encore qu'un pré-adolescent. Il était sa seule famille. Il lui demanda fébrilement ce qui c'était passé ne se rappelant plus de rien. Heath, commença à tout lui raconter tout en essayant de ne pas être trop brusque. C'est alors qu'Adam lui demanda où était Nilâ. Cherchant à éviter son regard, il lui expliqua que son corps n'avait pas été retrouvé, qu'il s'était mystérieusement envolé mais que vu l'état de la place où elle se trouvait il n'y avait aucune chance qu'elle ait survécu. Adam ferma les yeux et ne parla plus jusqu'à son retour. Son frère l'avait hébergé quelques jours, le temps de récupérer et il retourna chez lui en France. Le répondeur ainsi que la boîte aux lettres étaient saturés. Un mot des parents de Nilâ lui indiqua l'endroit où était installée une pierre tombale en sa mémoire. Il n'arrivait plus à dormir et passa ses journées seul, reclus et buvant. Il n'est jamais retourné dans leur chambre jusqu'à aujourd'hui.

L'orage grondait de plus en plus fort, faisant voler les quelques bouquets. Il se releva avec difficulté. L'effet de l'alcool commençait à agir sur lui. Au moment de dépasser le portail, une femme entra. Elle semblait tout aussi perdue que lui et il ne pouvait détacher son regard de sa silhouette s'enfonçant petit à petit dans l'obscurité. Son taxi était toujours là. Il lui avait demandé de l'attendre. Le chauffeur s'était pris d'affection pour lui, partageant sa peine. Il lui demanda si tout allait bien. Adam lui répondit d'un signe de la tête et monta dans le véhicule. Il resta muet durant tout le trajet comme à l'aller. Par la vitre, il regardait les rues défilées. L'ambiance de noël y était bien représentée, tout était décoré pour l'occasion. Gorge noué, il pensait... Arriver devant son appartement, le chauffeur refusa qu'Adam le paie. Dehors le vent ne s'était pas atténué. Il baissa la tête et tenta d'avancer. Un crie au loin le fit sursauter. Il semblait être le seul à l'avoir entendu. Les autres personnes paraissaient trop préoccupées par leurs achats de noël et leurs propres problèmes. Il les regardait avec tristesse, voyant ces couples, jeunes ou plus vieux, heureux. C'était la première fois qu'il ne fêterait pas noël. Cependant, il sourit, cela faisait longtemps. En effet, de l'autre côté de la rue, un homme se battait lui aussi contre le vent et tentait de récupérer son chapeau emporté par son souffle. Reprenant ces esprits, Adam baissa de nouveau la tête et aperçut alors à ses pieds une rose noir. Ce n'était qu'une rose, pourtant sans raison apparente, son cœur s'accéléra.

Abritée par un parapluie tenu par l'un de ses hommes, elle assista à toute la scène. Elle monta dans la voiture et regarda les photos présentes dans une enveloppe.

- Il est l'heure...

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