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Elle était encore derrière la porte. Pas un bruit ne sortait de la pièce dans laquelle elle se trouvait. Cela faisait un peu plus d'une heure qu'elle s'était enfermée dans la salle de bain – sans raison apparente. Finalement le son du robinet coupa le silence. Elle semblait se faire couler un bain. Il tenta de lui parler à travers ce long rempart mais sans succès. Aucun retour. Il n'en était pas certain, mais il lui semblait entendre quelques sanglots. Ce n'était pas la peine de lui demander ce qui se passait, il s'en doutait. Il s'asseyait le long du mur, la tête entre les mains, réfléchissant.

Elle ouvrit l'un des placards. Elle prit son parfum. C'est celui qu'il prenait lorsqu'il avait à un événement important. Il avait l'impression que ce parfum lui portait chance même si son odeur n'était pas forcément dès plus agréable. Son père en mettait, il a pris la relève. C'est ce parfum qu'il avait lors de son entretien d'embauche pour le poste de ses rêves, lors de leur premier rendez-vous, lors de la finale de coupe de France de Basket avec son équipe favorite – sport dont elle n'a jamais compris l'intérêt et dont elle aimait bien se moquer lors de matchs, lors de leur fiançailles... Elle en aspergea la pièce et ferma les yeux. Elle repensait à tout. De nouvelles larmes coulaient le long de ses joues. L'eau chaude du bain commençait à envahir la pièce de sa bué. Sur l'un des miroirs elle dessina une tête sans expression. Un visage, des yeux aussi rond que des billes, un petit nez, des oreilles tout ce qu'il y a de plus normal, pas de cheveux ni de lèvres. Elle entra dans son bain non sans difficulté. L'eau bouillante retenant sa précipitation. Mais c'est comme ça qu'elle les aimait. Il a toujours eu du mal à l'accompagner, mais le faisait quand même. L'un de ses moments d'intimités que l'on aime partager et faire durer. Le long de la baignoire ces épaules frissonnaient, le rebord étant froid. C'est à cet endroit que ses bras se trouvaient d'habitude. Elle regardait le tabouret disposé au coin de la porte. Il était là, dans son impeccable costume. Il en était fier de ses costumes. Un fantasme de gosse qu'il avait.

- Je me demandais si tu allais la trouver un jour, lui dit-il.
- Pourquoi ? Pourquoi maintenant ?

Ses yeux ne le voyaient pas vraiment – trop flous. Il ne bougeait pas. Il était à sa place. C'est là qu'il se mettait avant de la rejoindre dans le bain. Il aimait bien prendre son temps avant. La regarder se déshabiller, jouer avec les quelques bulles de savon, la faire languir... Sa façon à lui de faire monter l'excitation. Ça marchait. Il ne s'était pas encore rasé. Ça lui donnait un petit côté sauvage. Elle n'avait jamais été contre, au contraire. Il l'a regardait avec son regard, ce regard. Celui qui ne voulait rien dire et tout dire à la fois. Il souriait.

- Je ne sais pas. Tu me connais j'ai toujours aimé anticiper... Quand je l'ai écrite je ne savais pas si tu allais la lire un jour. Je ne l'espérais pas... Son regard avait changé mais son petit sourire restait. Ou du moins pas encore.
- Mais ce que tu as écrit ... j'ai pas envie ! Tu entends ? J'en ai pas envie ! Elle commençait à se laisser submerger par ses émotions. C'est trop demander merde ?

Elle s'enfonçait dans l'eau. Elle avait fermé les yeux un peu trop tard, le savon les lui piquait. Elle tentait de retenir sa respiration. Elle remonta à la surface et recommença une nouvelle fois. Mais sans les fermer cette fois ci. Elle l'attendait. C'est ce qu'elle faisait à chaque fois pour le faire bouger de son tabouret. Ça fonctionnait. Au dessus d'elle, malgré les étranges ondulations de l'eau, elle semblait l'apercevoir. Il souriait toujours. Il savait qu'elle ne tenait jamais plus de trente secondes et pour ce qu'il avait calculé, il lui en restait moins de dix.

Quelqu'un frappa à la porte. Elle ne semblait pas avoir entendu. Il décida d'aller ouvrir espérant qu'à son retour elle serait sortie de la salle de bain. Il descendait les marches discrètement. C'était un livreur. Il avait un paquet destiné à Mme Swoan. « Mme ... » il fixait cette appellation avec insistance. Le livreur manifestait son impatience. Finalement il signa le reçu et referma la porte. Vu la taille du paquet, ce devait être le fameux cadeau pour son neveu, commandé sur internet. Elle était fière de son choix. Tellement qu'elle ne voulait dire à personne ce que c'était. Des voix sortaient de la salle de bain. Mais elles ne lui étaient apparemment pas destinées. Il remonta tout de même. Il allait poser le colis sur sa chambre et en profiter pour prendre quelques affaires. Il s'arrêta toutefois quelques instants devant la porte de la salle de bain afin d'essayer d'écouter ces voix. Cependant il n'entendait plus rien, comme si elles s'étaient tuent exprès. La chambre était à semi-ouverte. Le lit n'était toujours pas fait, les rideaux n'étaient pas ouverts, ses affaires n'étaient pas rangées et un tas de vêtements s'empilait. Les albums photos étaient sortis. Il hésita à en regarder quelques une puis finalement son regard se détourna sur une lettre posée sur la table de chevet. Il posa le cadeau sur une chaise, entre un pull et une veste. Plus il s'approcha de la lettre plus son cœur battait. Il avait l'impression de toujours l'entendre parler. Son cœur s'accéléra, ses mains tremblaient. La curiosité pris le pas sur la raison. Il commença à lire la lettre. Sa gorge se nouait. Son cœur battait toujours aussi fort mais il lui semblait pourtant qu'il tentait de s'arrêter. Peut-être voulait-il exploser. Un bien pour un mal. Au fur et à mesure qu'il lisait la lettre, tout s'éclairait.

- Et avec Nathan ? lui demanda-t-il toujours avec ce petit sourire.
- Quoi Nathan ? Qu'est-ce qu'il vient faire là ? Elle semblait totalement déstabilisée.
- Rooh voyons tu sais très bien ce que je veux dire...

Ses larmes recommençaient de nouveau à couler. Elle n'arrivait plus à le regarder en face. Elle tentait une nouvelle fois de retenir sa respiration sous l'eau.

- C'est un bon garçon. Tu peux lui faire confiance. Il sera pour toi tout ce que tu mérites de mieux. Je le sais ...
- Mais pourquoi tu me parles de lui merde ? Je m'en fou ! Okay ? A chaque mot prononcé sa voix déraillait.
- C'est faux ... Il souriait encore. Et c'est normal ! Ma chérie ... ça va faire un an déjà ! Je suis mort. Mort ! Il est temps que tu passes à autre chose ...
- Mais c'est toi que j'aime ! Pas lui !
- Tu en es sûre ? Tu n'as pas à te sentir coupable ! Je connais Nathan depuis qu'on est môme. Tu ne peux pas avoir mieux. Lorsque l'on s'est rencontré, c'est lui déjà qui te voulait en premier. Je sais qu'au fond, malgré les années c'est toujours toi qui comptais pour lui. Je le voyais à sa façon de te regarder. Je sais qu'avec lui tu pourras être heureuse, même plus qu'avec moi ! Et je ne veux pas que tu loupes cette occasion ... à cause de moi ! Je t'aime Lily. Mais il est temps pour toi de tourner la page.

Elle tentait de cacher le son de sa voix en restant sous l'eau. Pourtant elle comprenait exactement ce qu'il lui disait. Elle se remémorait les moments forts de cette année écoulée depuis sa mort. A chaque fois Nathan était là pour elle. Il l'a toujours été. Elle savait qu'il avait raison. Elle essaya de se rappeler le plus de moments possible et commença à sourire à son tour.

Une larme coulait. La dernière fois qu'il avait pleuré c'était déjà à cause de lui, lors de son enterrement. Il savait que la lettre lui était aussi indirectement adressée. Meilleurs amis depuis l'âge de dix ans. Ils en avaient traversés des choses ensembles : Les petites combines chez l'épicier, les jours de match de l'équipe de la ville, leur terrain vague, le décès de sa mère à seulement douze ans, les années collèges puis lycées, les sorties en disco, leur voiture, les filles, la fille... la fille. Une fille pour deux. C'était Léo qui avait réussit à atteindre son cœur. Il ne lui en voulait pas, il savait qu'il la rendrait heureuse. Il n'a jamais réussit à avoir de vrai relation sérieuse avec une autre. Au fond il pensait toujours à elle. Il était son témoin lors de leur mariage. L'un des jours les plus durs de sa vie. Il savait qu'à partir de là il devait sa résoudre à l'idée qu'elle ne serait jamais sienne. Mais comme toujours il était heureux pour lui, pour eux. Son meilleur ami lui manquait. De nouvelles larmes coulaient. Il s'en voulait. Il avait l'impression de le trahir. Il s'était promis d'abandonner pourtant il ne pouvait pas. Il était toujours amoureux d'elle. Mais elle... contrairement à ce qu'il écrit dans la lettre, elle ne semblait pas être prête à se lancer dans une nouvelle histoire, encore moins avec lui. Il reposa la lettre et redescendit les escaliers. Il prit une feuille, un crayon et écrivit un mot lui étant adressé. Il se retourna. La porte de la salle de bain ne semblait pas être ouverte, les mystérieuses voix ne cessaient pas. Il baissa les yeux, franchit le seuil de la porte et partit.

- Tu vois ... j'avais raison n'est-ce pas ? lui demanda-t-il en souriant.
- Mais.. mais ... Elle bredouillait. Je suis désolé ...
- Pourquoi ? Au contraire ! Je suis content pour toi, pour vous. Vous méritez tout les deux d'être heureux, et vous avez suffisamment pleuré à cause de moi !

Il prenait ça à la rigolade. Comme tout ce qu'il faisait. Elle était sûre qu'il aurait aimé que son enterrement soit une vrai fête et non un ... enterrement. Elle était sûre qu'il voulait que les gens rient en se remémorant le passé plutôt que se morfondre sur son pauvre sort.

- Je t'aime Léo... et je t'aimerais toujours...
- Je sais ... moi aussi ! Mais il est temps pour toi de le retrouver.
- Oui... merci !

Il la regardait sortir de la salle de bain. Elle ne le vit pas mais son sourire disparût. Il avait finit ce qu'il considérait comme sa « dernière mission ». Il prit un grand souffle et disparaissais lentement.

Elle allait dans la chambre. Elle pensait l'y trouver. Elle ouvrait les rideaux, le soleil se trouvait pile en face sa fenêtre l'éblouissant ainsi quelques instants. Elle fit alors quelques pas en arrière aveuglé par la lumière et tomba sur son lit. Elle découvrait le paquet. Elle regarda instinctivement sa table de chevet. Elle n'en était pas certaine mais il lui semblait que la lettre avait été déplacée. Tout dans sa tête s'entremêlait : les mots de la lettre, son comportement envers lui ces derniers temps, son comportement envers elle, lui, les souvenirs, ses sentiments... son cœur s'accélérait. Elle descendit à toute allure les escaliers encore en serviette, espérant le trouver dans le salon ou dans la salle à manger. Elle ne trouva qu'un petit mot de sa part.

« Trop dur de faire semblant. J'ai toujours été là pour toi et je le serais toujours. Mais il y a un moment où tu vas devoir faire un choix : Avancer ou continuer à vivre dans le passer. Appel moi si tu as envie de moi dans ton futur sinon ... je ne sais pas... Je t'aime. Nathan. »

Ses mains tremblaient. Il ne savait pas s'il devait regretter ce mot ou au contraire en être satisfait. Beaucoup de choses allaient changer maintenant. Mais il lui était impossible de savoir si cela allait être en bien ou en mal. Le soleil l'aveuglait. Ça faisait longtemps que le temps n'avait pas été aussi beau. Pas un seul nuage à des kilomètres. Il cherchait ses lunettes de soleil dans la boîte à gants. Au même moment son téléphone retentissait. Il préféra répondre plutôt que de les prendre. C'était elle. Ses mains tremblaient encore mais il en était sûr, c'était pour une bonne raison. Il souriait. A peine avait-il ouvert son téléphone qu'une voiture sortant de nulle part arrivait en face.

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